04/09/2010

Awake II

Il va, d'un pied prudent, chercher la lampe errante,
Dont il garde les feux dans sa main transparente,
Son corps blanc est sans voile, il marche pas à pas,
L'oeil ouvert, immobile, et murmurant tout bas.


Alfred de Vigny (1797-1863) , Le Somnambule



Rien de plus glaçant que l'oeuil d'un somnambule. Ce regard qui ne regarde pas, ou dont la vision du moins, ignore la réalité comme l'exprime Bonnet dans son essai psychologique : "Le somnambule n'est point un automate ; tous ses mouvements sont dirigés par une âme qui voit très clair ; mais la vue est tout intérieure ; elle se porte uniquement sur les objets que l'imagination lui retrace avec autant de force que d'exactitude".

Cette sensation d'effroi face à la pupille hagarde est d 'autant plus pénible qu'on ne saurait expliquer pourquoi. Il existe quelque part, l'idée que l'oeuil est la fenêtre de la vie, une foule de sentiments est traduite par son intermédiaire. L'oeuil rit, l'oeuil pleure, l'oeuil bouge. Il est à lui seul un personnage. Mais lorsqu'on devine un vide derrière cet ouverture, il nait une sensation indescriptible, semblable à celle qu'on éprouve devant une maison abandonnée. Un souffle presque morbide s'en échappe. En ce sens, cette peinture de Rosset Granget est particulièrement "parlante". (je vous invite à cliquer dessus pour voir la demoiselle de plus près.) :


Voici donc l'idée que j'avais en tête lorsque j'ai peint ma seconde illustration sur ce thème. La couleur bleue du visage est venue de façon hasardeuse -aucun rapport avec Avatar-, un besoin de retranscrire à la fois la nuit et le froid évoqués dans mon poème. La pluie quand à elle s'est personnifiée à travers les tâches de couleur.

J'apprécie particulièrement cette technique utilisée généralement pour accentuer les effets d'écumes dans les peintures marines. On a tous fait des batailles de brosse à dent quand on était gamins. Le concept est le même , sinon qu'au lieu de projeter du dentifrice sur l'affreux cousin Simon , c'est avec de la peinture que ça se passe en tâchant (haha) bien sûr de ne pas viser à côté de la plaque et ne ne pas non plus saturer le papier dont la résistance aux dégâts des eaux n'est pas illimitée. Ce qui me plaît donc, c'est cette façon de noyer les contours, casser toute forme de frontière entre les éléments, avec cette idée que conscience et inconscience puissent étroitement s'entremêler.

En ce qui concerne le matériel, cette palette de gouache qui date de Mathusalem et dont j'ignore d'ailleurs, la provenance (sinon du fin fond de mon placard) est mon amie.
Je l'utilise diluée avec beaucoup d'eau pour laisser les traits apparents.

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Pour conclure ce long post, je vous laisse faire de beaux rêves (enfin j'espère) en compagie de Maria Callas interprétant La Somnambula de Bellini :

2 commentaires:

Shelina a dit…

Bendidon, qu'est ce qu'elle me fiche la trouille la peinture de Rosset !
En même temps, je pense que c'est l'effet souhaité. L'éclairage, le réalisme du visage, c'est du génie.

Mais je préfère ta façon plus douce et poétique de traiter le sujet. On sent une certaine tendresse dans ta façon de t'adresser à ce "fantôme" et de le représenter.

Maidy a dit…

Exact. Elle est tellement vivante qu'on croirait presque entendre le froissement de sa robe et en même temps, d'une inexpressivité cadavérique.
Fascinante !

En ce qui concerne mon oeuvre, il s'agit plus d'empathie que de tendresse (mais il y en aussi, c'est vrai).