01/07/2010

L'indispensable "profondeur"


Toutes ces réflexions sur la "pertinence" des blogs m'ont fait penser à une nouvelle de Patrick Süskind (=l'auteur du "Parfum"), dont le titre "Der Zwang zur Tiefe" pourrait être traduit par "la contrainte de la profondeur" ou "la nécessaire profondeur".


La nouvelle commence de la façon suivante (traduction un peu bancale, je sais) :

Une jeune femme originaire de Stuttgart qui dessinait bien, lors de sa première exposition se fit entendre par un critique qui ne pensait pas à mal et voulait l'encourager "Il y a du talent, et ce que vous faites est évocateur mais vous avez encore trop peu de profondeur".

Cette simple remarque va bouleverser l'existence de l'artiste. Peu à peu, elle sera dégoûtée d'elle même, perdra toute forme de motivation, sombrera dans la dépression jusqu'au suicide. La nouvelle s'achève sur ces termes : ...cette révolte tournée vers l'intérieur qui s 'enfonce en spirale, en même temps chargée d'émotion et visiblement vaine. Cette contrainte fatale, j'aurais presque envie de dire, impitoyable, de la profondeur.

Je tiens à préciser que, si je cite cette oeuvre ce n'est PAS pour m'identifier au personnage et menacer de me suicider parce qu'un malotru aurait pissé sur mes roses.
La force de ce récit, c'est qu'il suscite plusieurs questions intéressantes. Je m'explique.

D'une part, un art doit-il nécessairement être "profond" pour être valable. L'artiste est-il l'ami des muses ou des philosophes.
D'autre part, comment définir la "profondeur"...La Joconde est-elle "profonde"...
Enfin, on peut s'intéresser au poids du regard des autres. Jusqu'à quel point doit-on se préoccuper de leur avis ?

Se soumettre au regard du public c'est également s'exposer à la critique négative. Seulement, l'artiste est aussi en droit de ne pas l'accepter, ou de prendre du recul vis à vis d'elle. C'est là que le bât blesse. Refuser de dire amen à une critique est souvent perçu comme un manque d'humilité de la part de la victime...ce qui amène une nouvelle critique.
Alors on se sent obligé de la recevoir, comme un esclave résigné devant son coup de fouet en se disant "au fond, peut-être que ce critique a raison."

Mais qui nous dit qu'il n'a pas tort ?

5 commentaires:

Narcisse a dit…

Les commentaires sur ton travail artistique, c'est simple: tu en prends, tu en laisses.
Je pense que dans tout les cas, il ne faut négliger aucune d'entres elles. Dans tout les cas, tu y répond poliment.
Imaginons un vernissage typique. Tu aura une pléthore de "c'est intéressant", "c'est pas mal" et autres "j'aime bien mais je mettrais pas ça dans mon salon LOL"... Tu dis merci. Tu encourages ton interlocuteur à préciser sa pensée, tu pourrais avoir de bonnes surprises. Un coblogueur m'a affirmé que les gens aime ça. Il aime que tu leur demande leur avis, en gros tu montres que tu t'interesses à ex, ils s'interessont à toi.
Les critiques négatives, c'est comme les trolls sur les forums ou les blogs: faut pas les nourrir. Prépare toi quelques répliques polies mais fermes qui couperont cour à sa verve médisante.

Maintenant, tu engranges tout ça, tu fais le tri. Y'a forcément du bon qui doit en ressortir. Et puis, n'hésites pas à prendre les encouragements, même pas forcément hyper sincères, comme un tremplin. N'oublie pas que la majorité des gens, quand ils n'aiment pas, ne disent rien, point barre. S'ils te complimentent, à moins d'être particulièrement intéressés, c'est qu'il y une base de vérité. Et s'il font ça juste pour être gentil et ne pas te blesser, dis toi que ce n'et pas de l'hypocrisie, mais une forme d'encouragement, sincère celle là.

Quant à la profondeur... Je dirais oui, à condition de savoir de quoi on parle. Si on parle d'intellectualiser l'art, je me barre en courant. Si on parle de profondeur d'émotion, là je dis un grand oui, sinon on fait du graphisme ou du design, pas de l'art.
Mais je ne voudrais pas relancer le débat insoluble sur la différence entre l'art et l'artisanat...

Shelina a dit…

La manque de profondeur est une critique d'autant plus dure à encaisser j'pense, que la notion est ambigue.

Comme on ne sait pas trop comment définir la profondeur, la personne qui reçoit cette critique aura tendance à ruminer pour savoir ce qu'on lui reproche exactement. Et c'est presque pire qu'un reproche bien pesé.

Quand on me dit "ton plat de nouilles manque de beurre", je sais que je dois mettre plus de beurre dans mes nouilles.

Si on me dit "ton plat de nouilles manque d'exotisme", je ne comprendrai pas trop ce qui manque exactement à mon plat de nouilles. Je serai capable d'y penser pendant des semaines et de ne plus oser cuisiner des nouilles. De là à sombrer dans le désespoir et à me tuer avec la casserole quand même pas mais tu vois le truc quoi.



Pour moi "profondeur", ça veut dire tout et son contraire. Quelque chose qui suscite la réflexion ? Quelque chose de très travaillé?
Quelque chose derrière lequel on sent une certaine intelligence ?

Maidy a dit…

A mes yeux une oeuvre "profonde" est une oeuvre dont l'interprétation dépasse le premier regard.
Une texte de Jim Morrisson est plus profond qu'un texte de Lorie par exemple car les mots seuls ne suffisent pas pour le comprendre, il faut aller SOUS la surface, comme un plongeur explorant la mer.


Après c'est une définition personnelle.
L'oeuvre de Susskind pose cette question de la profodneur et la met en parallèle avec le vide , notamment lors du suicide de la jeune femme (puisqu'elle se jette justement dans ce vide) , le terme "tiefe" désignant également la profondeur du vide.

Après intellectualiser l'art je ne suis pas pour non plus, l'art je pense est à la fois une réflexion, une technique et une sensibilité, l'un ne doit pas occulter l'autre.

En ce qui concerne la critique je n'ai rien à ajouter à ton post, Narcisse, je pense que c'est de bons conseils à suivre. :)

Shelina me fait rire avec son histoire de nouille (métaphore bien trouvée d'ailleurs parceque l'histoire de Susskind c'est presque ça ) parce que là ou il y a problème c'est que l'affect nous empêche souvent de prendre du recul. On est touché dans notre égo , l'interpétation de la remarque en est donc faussée.

Pour ce qui est de la différence entre art et artisanat, terrain miné, je ne m'y engagerai pas non plus ! :)

Shelina a dit…

Donc selon toi, la Joconde n'est pas profonde. (héhé ça rime !)

Maidy a dit…

Non.
Quitte à choquer les puristes je pense que la Joconde n'est pas une oeuvre "profondne".
Son intérêt réside dans le fait que c'est une oeuvre "révolutionnaire" pour le contexte de son époque, la technique employée (le sfumato) comme le sujet choisi (une jeune fille lambda)sont innovants, elle est représentative de la renaissance, de l'humanisme (s'intéresser à l'Homme plutot qu'au divin) toussa.

Cependant, l'image en elle même n'est pas à interpréter, c'est seulement un portrait et Vinci n'a pas voulu que ce soit autre chose.